Comment être un entrepreneur nul : mode d’emploi.

Voilà plus de 10 ans maintenant que je suis à mon compte.

J’avais cédé aux sirènes de l’auto-entrepreunariat, suivant ainsi les nombreux cortèges de salariés bénéficiants d’un « plan de sauvegarde de l’emploi » à la suite d’une « clause de cession ». 

J’avais à cette occasion profité de ce départ pour entamer un bilan de compétence pendant lequel je réclamais sans cesse que je ne voulais plus passer ma vie assis derrière un ordinateur et que je souhaitais démarrer une nouvelle vie professionnelle. 

Après une série de QCM standard censés donner une ligne directrice sur qui je suis et ce que je peux être, la conseillère m’a guidé vers une formation… de web design. Car « non mais ça embauche grave là ! ». 

Dans un élan de « bof pourquoi pas », j’ai claqué 6000 euros dans une formation web design qui ne m’a JAMAIS servi. Deux grosses erreurs donc pour bien commencer cette nouvelle vie. 

Vraiment une attitude de winner se profilait déjà. (Prenez des notes)

Finalement, je ne suis bon que dans le graphisme print. Bien que mon rêve aurait été de rencontrer des gens, de monter des projets, d’avoir une vie multiple et dynamique, redonnant ainsi du sens à mon enthousiasme naturel, mais ça ne suffit pas comme projet professionnel. Ah !

Alors, ça tombait sous le sens que je finisse dans un Coworking impersonnel, à travailler à distance sans jamais croiser personne… oh wait…

Les années passèrent ; le covid aussi ; la solitude s’ancra. 

Mais les affaires marchaient plutôt bien pour un homme seul. J’aurais pu me développer mais j’avais peur que tout s’arrête soudainement. J’aurais pu embaucher mais si je n’ai plus assez de clients ? 

Alors depuis 10 ans, je bosse comme un dingue. Seulement deux semaines de vacances par an pendant lesquelles je stresse en voyant les mails s’accumuler. J’ai bien pris quelques free-lances pour m’aider mais, c’est dur de déléguer quand on est soi-même le produit. 

Et enfin, ces deux dernières années, les choses se sont compliquées. Crise de la presse écrite, guerre en Ukraine, inflation, etc. Beaucoup de projets avortés, des clients qui tirent les prix, qui ne veulent plus dépenser d’argent ou le moins possible. Peut-on faire un magazine sans photographes, sans illustrateurs ? On vous a donné la preuve qu’on pouvait, vous en avez fait un sacerdoce. Saint-Shutterstock priez-pour nous ! Et maintenant, on me réclame de l’AI comme si c’était la solution miracle. (Oui, la rhétorique religieuse me semble adaptée)

Faire une magazine complet, créa + maquette pour 2 ou 3000 euros, 4000 dans le meilleur des cas. Un boulot qui peut prendre un mois à temps plein. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la masse de travail que ça représente (et je suis un vaillant), et une fois les charges soustraites, il ne reste pas grand chose au soldat Cyril. Heureusement, parfois, il y a des bouées de sauvetage, des clients fidèles et adorables qui me permettent de participer honnêtement à la grandeur du PIB.

« Mais pourquoi t’acceptes ? » me direz-vous. Et bien, d’une part, la concurrence est rude et j’ai perdu pas mal de marchés car les graphistes free-lances sont légions et chacun, je le comprends, essaie de tirer son épingle du jeu. Ou peut-être juste que je suis un entrepreneur nul. Ou peut-être encore que c’est par fatalisme. Qui sait. 

D’autre part, j’ai une famille à nourrir et ça donne des petites crises d’anxiété quand tu as passé un mois sans un seul contrat, donc tu finis par t’asseoir sur tes principes car les principes ne remplissent pas le frigo. 

Je suis graphiste depuis 20 ans, dont 10 ans en tant que DA, pourtant, je stagne. Je n’ai pas fait fortune, je n’ai pas investi dans quoi que ce soit car je n’ai pas les clés. Je ne sais tout simplement pas comment on procède. Et tous les posts ici qui nous vendent la réussite et les morning routine du winner me semblent à mille années lumière de moi. 

J’ai misé sur un marché de niche en me disant que si je fais partie des dinosaures du graphisme, je serais recherché. Finalement, comme tout bon dinosaure, je disparais. 

Ne restera que quelques fossiles de magazines que j’aurais créé et que plus personne ne lira. Mon nom restera gravé en bas des pages d’un Ours que les gens lisent encore moins.

Alors voilà, comment réussir à ne pas réussir, en étant souple, cordial, arrangeant, disponible mais avec le sens commercial d’un Bernard-l’ermite.

Prenez-en de la graine. 

La vie trop longue

On regarde les vieux comme s’ils semblent avoir toujours été vieux. Avec leur peau fripée et molle, leurs yeux vitreux, leur odeur de vieux et leur voix chevrotante, leur silence aussi, souvent… Ils attendent que la mort vienne les cueillir.

On a du mal à les imaginer jeunes, plein de fougue, caressant la vie avec ardeur. On ne les imagine pas, avoir des doutes ou des ambitions, des amours secrets et des amours d’un soir. On les a toujours connu vieux. C’était le cas de ma grand-mère. Ça fait 43 ans qu’elle était vieille. Cheveux blancs permanentés, longue robe à petites fleurs, sa voix tremblante, sa peau diaphane. Elle appelait déjà de ses vœux sa propre mort. D’aussi loin que je me souvienne, après le décès de son mari, elle attendait « que Jésus vienne [la] chercher mais y veut pas » comme elle aimait à le répéter. Elle aura donc attendu plus de 40 ans pour le rejoindre son Albert. Une bien longue agonie pour une femme qui n’aimait plus la vie. Ma grand-mère n’était pas une mamie gâteau, elle était même plutôt assez froide et distante. Je n’ai aucun souvenir d’un câlin avec elle ou même d’un moment de tendresse. Elle était comme ça. Peut-être les vestiges de la guerre, elle qui est née en 1924 et qui a côtoyé les nazis dans le Belfort de son enfance. Elle les détestait mais n’en parlait jamais, juste un « ces sales boches » de temps en temps s’extirpait de sa bouche crispée. Je n’en saurais pas plus. Il eut fallu un exil dans le sud avec mari et enfants pour que ma mère rencontre mon père et que je puisse exister. Les destins qui se croisent. Elle ne s’épanchait pas, ma grand-mère, ma mémère. Solide comme personne, elle fut patronne de restaurant, patronne de fabrique de poupées régionales, elle a affronté de nombreuses maladies, des accidents graves, des passages au bloc opératoire, mais elle a toujours surmonté tout ça, en râlant beaucoup trop certes, ce qui exaspérait ma mère, mais quand même, elle impressionnait par sa force. Elle avait un petit côté drama queen, toujours à se plaindre qu’on l’abandonne, que « de toute façon je suis un poids pour vous je le sais bien ». Sur les derniers mois, elle était devenue trop faible, trop fragile et ma mère n’arrivait plus à l’aider. Une chute de trop a mis fin à leur colocation. Ma mère n’a pas pu la relever alors d’un commun accord, elles ont décidé de la placer en Ephad pour sa sécurité. Ça a été le début de la fin mais comment faire ? Son corps voulait vivre envers et contre tout, mais ma grand-mère, elle, était fatiguée de cet entêtement à vivre. Elle a tenté d’anticiper le grand voyage, elle a pensé à se jeter dans les escaliers avec le fauteuil roulant mais ma mère l’a vu, elle a essayé de s’étrangler avec le cordon qui sert à appeler les infirmières mais elles l’ont vu, rien à faire, la vie était plus forte. Quel degrés de désespoir il faut pour en venir là à 97 ans. C’est simple, quand tu ne peux plus te nourrir, plus t’habiller, plus te laver, plus aller aux toilettes, le cerveau qui déraille, les organes qui lâchent les uns après le autres, tu sais que ce n’est plus une vie décente. Elle, elle l’était, décente. Et ce corps qui ne veut pas mourir… la vie ne devient plus alors qu’une lente agonie. Aujourd’hui, ça y est, tu vas le rejoindre ton Jésus, enfin, après tant d’années de souffrance. Je suis soulagé pour toi. Je garderai de toi ces étés à la villa Lakanal où tu nous arrosais au tuyau avec ma cousine Virginie, je garderai aussi cette valse que nous avons dansé ensemble sur le parking de ma cité, ton visage rayonnait de bonheur à ce moment là, je l’oublierai jamais. Bon voyage mémère.

On s’épanche

Je ne sais pas, vous, comment vous évoluez dans la vie, mais moi, la plupart du temps, je n’ai aucune idée de ce que je fais. Je me contente de la subir en laissant les événements venir à moi, et moi de m’adapter à eux comme je peux. Je me fais violence pour ne pas sombrer dans une profonde dépression ou une mélancolie aiguë nourrie par un désespoir naturel, ancré, conscient, sous-jacent.

Bien sûr, je n’ai pas toujours été comme ça et j’ai fait des choix dans ma vie. J’ai provoqué le destin et j’ai pris d’énormes risques. C’est peut-être pour ça que je suis désillusionné. Tellement d’efforts, de couleuvres avalées, pour quoi ?

Je multiplie les petits plaisirs, les petits bonheurs qui donnent l’illusion de ne pas exister pour rien. Mais au fond de moi, je sais. Je sais que ce ne sont que des consolations médiocres qui nous maintiennent à flot. Je le dis sans cynisme, pour moi c’est un fait, quand on y pense vraiment, cette vie n’a ni queue ni tête et elle n’a de sens que par l’illusion d’en être maître et par la consommation de biens, de loisirs, par la création de souvenirs… le reste, n’est que contraintes. Nous sommes conditionnés dès le plus jeune âge à être soumis à cette société et la façon dont on doit en faire partie. La majorité des gens ne choisissent même pas l’heure à laquelle ils doivent se réveiller.

Je me rends compte que ça fait dix ans que je multiplie les choix qui devraient m’emmener vers une autonomie totale et en fait, je suis devenu esclave de cette liberté illusoire. Je ne suis pas libre. Je travaille seul, en indépendant (drôle de terme car on est en vérité très dépendant) dans un stress permanent, sans vision à long terme, sans possibilité de stabilité, d’évolution. La seule chose qui me fait continuer, c’est que je gère mon temps comme je veux (enfin dans mes rêves) et que je n’ai de comptes à rendre à personne (je mens, je dois des comptes à mes clients, à ma famille…), pas de hiérarchie pour me rappeler que je suis inférieur (ça c’est vrai, l’indépendance m’a appris surtout que je ne savais pas travailler avec une hiérarchie, que je ne supportais pas ça et surtout que j’étais capable de beaucoup de choses alors qu’en entreprise, t’es quand même souvent bridé, brisé, freiné).

Longtemps, je me suis menti aussi sur ma recherche du bonheur. J’avais trouvé un artefact, la nourriture. Je mangeais pour avoir l’illusion de me faire plaisir. Je ne mangeais pas, je me remplissais, je remplissais le vide créé par ce manque de sens dans ma vie. Je suis devenu père aussi et malgré l’amour que je reçois de mes enfants, ça ne comble pas ce vide, au contraire, ça l’a augmenté pour en faire vaste trou béant abritant une tempête d’incertitude. Ne pas arriver à donner du sens à ma vie, c’était potentiellement ne pas arriver à donner du sens à la leur. Comment leur donner l’impulsion que dans cette vie tout était possible si moi-même je n’y crois pas un seul instant ? Comment leur montrer que ça vaut le coup de faire des efforts et de se battre pour « réussir » si moi-même je ne sais toujours pas ce que « réussir » veut dire. Ça veut dire quoi réussir sa vie ? J’ai deux beaux enfants, malins, intelligents et bien dans leurs baskets, c’est une réussite ça, oui. Mais, je suis obligé de feinter, de ne pas leur montrer ma désillusion, ce que je pense vraiment au fond de moi de cette étrange existence.

Posséder pour exister, exister pour posséder. Comment s’émanciper de ça ?

Depuis peu, j’ai repris le sport. Toute ma vie, j’ai eu une relation conflictuelle avec le sport, mais là, il semblerait que je sois assez mature pour pouvoir vivre une relation durable et apaisée avec lui. Parce que justement, je me suis rendu compte que le sport n’a besoin de rien. C’est juste moi contre moi-même. Il y a un sentiment de liberté pur et simple que je n’avais pas ressenti jusque là. Je ne me suis jamais senti autant moi-même qu’en me mesurant à mes limites. Je sais, c’est bizarre dit comme ça. La satisfaction est immédiate, on allie un sentiment de fierté à un besoin physiologique très primaire : créer de la dopamine.

Longtemps, j’ai cru que j’allais être quelqu’un, qu’un destin un peu hors norme m’attendait. Sans prétention, ni mégalomanie, je ne me crois pas supérieurs aux autres, juste, j’avais l’impression que je pouvais faire quelque chose de différent, que tout était possible, mais j’avais paradoxalement un énorme manque de confiance en moi. Dans mon coeur, tout était possible, dans les faits, rien ne l’était. Je travaille sur ça mais je n’arrive pas à faire effondrer ce mur de doutes et de défaitisme. Plus je vieillis et plus ce sentiment est indissoluble car aujourd’hui je cours après le temps et les années qui s’effacent, emportent avec elle la possibilité d’un autre moi. Et puis, la paternité vous oblige aussi. On ne peut pas se comporter comme quand on est seul et qu’on a rien à perdre. Si seulement j’avais pris conscience avant qu’il suffisait d’un peu d’audace et d’un minimum de confiance en soi… J’espère que j’inculquerai ça à mes enfants.

Là, pour le moment, je me sens seul dans mes doutes et dans mes rêves qui se laissent écraser par le poids de la réalité, la réalité étant que je suis désespérément commun, je n’ai rien de spécial. Je me démarque un peu par la confusion permanente de mon moral, de mes pensées. Je doute tellement tout le temps en permanence que s’en est épuisant pour moi et ceux qui vivent auprès de moi. Parfois, je sais que j’horripile avec ça mais j’ai du mal à faire comprendre que je n’y peux rien. Je ne suis pas encore prêt à dépasser ces doutes.

Le métier actuel que je fais depuis 20 ans maintenant, est devenu une véritable corvée. La vérité c’est que je n’en peux plus. Je n’en peux plus de ce stress, des désidérata stupides, d’être confronté à des gens qui ont besoin de vous prouver qu’ils sont supérieurs à vous ou qu’ils savent mieux que vous ce que vous devez faire, qui ont besoin de prouver à leur hiérarchie qu’ils sont compétents donc c’est sur vous que ça retombe, etc. de ça, j’en ai ma claque. J’en ai ma claque des délais trop courts, d’avoir la boule au ventre en présentant chaque créas, des changements de dernière minute qui te mettent tout en l’air et qui te font tout refaire en accéléré ou qui te font faire des trucs dégueulasses mais eux sont contents. J’ai beau me dire « allez, c’est le client, si il est content avec ça, laisse », ben ça m’affecte quand même, est-ce qu’on va dire à un boulanger comment il doit faire son pain ? Bon, mauvais exemple, avec Internet, ils se prennent aussi des critiques.

Tout ça est clair dans me tête, ce qui ne l’est pas c’est : qu’est-ce que je peux faire ? Quel autre métier pourrais-je faire ? Je ne trouve pas parce que ça me semble insurmontable. Il faut déjà trouver l’idée, s’en faire une vision réaliste et pas idéaliste, faire une formation, donc potentiellement un sacrifice financier pendant plusieurs mois/années, et si je me suis trompé ? Et si je n’y arrivais pas ? Et si je ne trouvais pas de travail derrière ? Et si… et si… et si…

Ça sera donc ça ma vie ? Faire un travail alimentaire qui me saoule et assurer le confort de ma famille ? On va dire que ce sont des préoccupations de riches occidentaux mais ça change rien à ce que je pense au fond de moi. J’ai trop besoin de me lever le matin et d’avoir l’impression d’être utile, de faire quelque chose qui a du sens. Un classique de la pensée contemporaine ça, faire quelque chose qui a du sens. Peut-être qu’on a trop vu nos anciens s’abimer la santé dans des travaux pénibles sans compensation en retour et qu’on ne veut pas faire de même. C’est probablement en grande partie la futilité de mon métier qui renforce mon sentiment de dégoût, la ratio argent/pénibilité n’est plus bon. Je pourrais gagner un million par an que j’en aurai quand même marre. J’en aurai juste marre mais dans un plus grand appartement.

Je ne sais pas, vous, comment vous évoluez dans la vie, mais moi, la plupart du temps, je râle.

Le poids des maux

Voilà un an que j’ai entamé ce qu’on appelle une transformation physique. J’appellerai ça plutôt un rebond (zboiiing). Je n’ai de leçon à donner à personne et mon combat contre le poids et avant tout une affaire personnelle. Alors j’ai envie de vous en parler parce que je suis fier et ça fait longtemps que ça ne m’était pas arrivé.

J’ai toujours été en surpoids, d’aussi loin que je me rappelle. J’ai été pourtant très sportif mais j’avais toujours ces quelques kilos de trop. Je faisais le yoyo. Je perdais, je reprenais, je refaisais du sport et j’arrêtais. J’ai fait des dizaines de régime et j’ai vu je ne sais combien de nutritionnistes mais je n’arrivais pas à perdre ou à prendre conscience du mal que je faisais à mon corps. La vérité c’est que pendant longtemps j’en avais un peu rien à foutre. Je voulais profiter de la vie et je suis un hédoniste, sur ça, on ne me refera pas. Mais, ces dernières années j’avais pris beaucoup de poids, surtout les 5 dernières années. Je suis monté à 122 kilos pour 1m70… et je ne m’en suis même pas rendu compte. Rien que le fait de vous le confesser est déjà une performance en soi car je n’ai jamais osé le dire à personne. Je suis pudique et extrêmement honteux de mon image. D’ailleurs, le premier jour à la salle de sport quand ils m’ont demandé mon poids, j’ai dit « 105, je crois… ». Je ne savais pas parce que j’avais arrêté de me peser. J’avais aussi arrêté de me regarder dans un miroir, mon reflet dans une vitrine m’était insupportable, me voir en photo… je n’en parle même pas. J’avais honte de moi et plus on a honte et plus on se cache. Alors, j’ai commencé à porter du noir tout le temps, à arrêter de voir mes amis, à sortir le moins possible. Il me semblait que le regard des autres serait trop dur à supporter. Je sais qu’il y a un courant « body positive » important de nos jours et c’est super pour les gens qui souffrent de leur image mais je dois vous dire que je ne sais pas comment ils font, je n’ai jamais réussi à franchir ce cap de l’acceptation de soi. Personnellement, j’ai toujours honte de mon corps et ça, bien que j’entame ma 3e année de thérapie. Car oui, cette « transformation » est d’abord née d’une longue discussion avec ma psy à défaire les fils de mon enfance, de mon adolescence chaotique, de ma relation à l’amour, à moi-même. J’attendais le déclic en vain. Je pouvais toujours l’attendre, il n’y a pas de déclic. Il y a un long processus de revalorisation de soi et à un moment donné, il faut se faire violence si on veut se confronter à ce qui continue de nous maintenir au fond. C’était devenu une évidence, si je voulais aller mieux, il fallait que je change. C’était devenu vital. Mais comment faire pour dépasser sa honte ? J’étais hanté par la honte permanente de ma mère qui restait enfermée à la maison pour que personne ne voit son obésité. Elle ne prenait plus soin d’elle, elle pleurait beaucoup, je crois qu’elle aurait voulu disparaître dans ses robes trop grandes et sans âges. Elle était très probablement en dépression mais ces choses là n’existaient pas à cette époque, on n’en parlait pas. Les psys, c’était pour les fous.

Quand elle a fini par divorcer de mon père, elle a perdu en un an tout ce poids, comme si son obésité était nourrie par son mal-être. J’étais fier d’elle. Elle a fait ça toute seule, sans opération ni rien, 40 kilos en moins, comme ça, en marchant sur son balcon et en mangeant mieux. Sa vie redémarrait. J’avais gardé son expérience dans ma tête.

J’avais repéré une salle de sport à côté de mon bureau depuis plusieurs semaines. Je n’osais pas franchir la porte. La honte, toujours. Mais, je n’en pouvais plus d’être mal et je commençais à cumuler les problèmes de santé. Je n’arrivais plus à m’habiller car cette société n’est pas pensée pour les gros alors que nous sommes légions. On existe, on est nombreux, il ne suffit pas de dire « bah bougez vous le cul » pour qu’on s’adapte. On existe, on est nombreux, je le répète et c’est la société qui doit s’adapter à nous. Je ne serais jamais un de ces anciens gros qui font la morale aux autre gros mais j’ai mes convictions et je sais qu’il ne sert à rien de pointer du doigt les gros. Les gros, on fédère toutes les strates de la société dans le dégoût que les autres ont de nous. Si on est gros c’est de notre faute, leur raisonnement s’arrête là. On n’existe plus que par ce qualificatif, comme si tout le reste de notre personnalité avait été absorbé dans la graisse qui nous enrobe. Je sais vos souffrances et je sais combien c’est difficile chers amis en surpoids. Le but ultime c’est d’être heureux avec vous-même et qu’importe votre apparence. Les autres composeront avec. Je dis ça mais je ne sais pas le faire. J’aurais aimé m’accepter en faisant fi de mon apparence mais je n’y arrivais pas. J’en avais marre aussi des irritations entre les cuisses et de tous les problèmes que l’obésité engendre donc, je devais le faire.

Alors, un jour que je tournais en voiture pour me garer près de mon bureau, je tournais en rond dans le quartier sans voir les places sur lesquelles je pouvais me garer, mon cerveau était bizarre, tourmenté. Je n’avais pas envie de travailler. J’étais… oui bizarre. J’ai fini par me dire « aller, va à cette salle ! Tu y rentres et tu prends des renseignements ». J’ai fini par me garer en face. J’ai failli repartir en me disant que ce n’était pas pour moi, je me suis repris et je suis rentré. J’ai eu la chance d’être accueilli par un mec adorable et amical. Un grand costaud qui m’a mis à l’aise tout de suite. Il a compris pourquoi j’étais là, il me confiera plus tard que lui aussi avait été obèse. Difficile à croire quand on le voit aujourd’hui. Il a enchaîné sur une prise de rendez-vous pour un coaching offert avec un autre gars tout aussi attentionné. La séance fut prévue pour le dimanche suivant. Je n’avais plus le choix. J’y suis allé et ça m’a ouvert les yeux sur deux choses. J’étais très mal en point, je pouvais faire des choses. Alors j’ai commencé à venir, une fois, deux fois, trois fois par semaine. On a enchaîné sur un rééquilibrage alimentaire. C’est la première fois où je n’avais pas la sensation de faire un régime. Je pouvais manger de tout et j’avais droit à deux cheat meal (repas libre) par semaine. Le premier mois je n’ai rien perdu. Ils m’ont rassuré en me disant que tout le monde ne réagissait pas de la même manière. Alors j’ai persisté. Le deuxième mois, 2 kilos en mois, la machine était lancée. J’ai fini par perdre 20 kilos cette année et je n’ai jamais eu l’impression de me forcer ou de me priver. Et ça, c’est très important. Plus que ça, aujourd’hui, c’est un rythme de vie qui a complètement changé, je me suis rajouté 3 séances de cardio en plus des séances a la salle et pourquoi ? Parce que désormais, je prends plaisir à faire du sport. Mais vraiment ! Mon hédonisme est nourri par l’endorphine et la sensation de liberté quand je cours dehors. J’aurais jamais dit ça avant, mais maintenant j’aime vraiment ça. J’ai encore du chemin à faire avant d’atteindre le poids « normal » mais je m’en fous. Je ne me suis pas vraiment fixé d’objectif enfin si, mais c’est plus lié à la régularité et au chemin de vie que je souhaite parcourir. Je sais que désormais c’est pour la vie et surtout je ne veux plus jamais me sentir mal comme je me suis senti mal.

Si vous êtes mal et que vous voulez en parler, mon oreille est tendue. On pourra échanger pour la modique somme de…

La nuit jolie

La Lune est noire et les ombres scintillent sur les pavés humides. 

La nuit, secrètement, abrite les névroses du monde et moi, qu’elle a recouverte du linceul du jour passé, j’ondule sous ses étoiles. Je titube, même, dans les avenues floues et mon regard fou éloigne les âmes sensibles. Je suis paumé, au milieu des badauds qui me regardent d’un air inquiet ou méprisant. Il y a quelques heures, j’étais enfermé dans un bar de nuit sombre, à écouter de la techno trop forte en buvant des litres d’une mauvaise bière. Les spots de couleur me fracassaient encore plus la gueule, j’étais seul, j’avais envie de partir, mais je restais pour avoir un semblant de vie sociale. Du moins, en apparence, car même entouré de centaine de gens, quand t’es seul, t’es seul. Retour à la rue, je passe devant un kebab et décide de m’y arrêter. Je ne sais même pas si j’ai faim. Frites, harissa, mayo, à emporter, j’irais le vomir un peu plus loin. La route me paraît interminable mais je ne suis pas vraiment sûr d’avoir envie de rentrer. J’ai encore, besoin, de ce moment de totale perdition. On ne fait pas assez l’éloge de la perte de contrôle. Moi, j’aime ça. J’aime ce sentiment de désinhibition où j’en ai plus rien à foutre d’être moi. Et en même temps, pendant ce moment de perte de dignité, je sais quand même me contrôler d’une certaine manière, une certaine sobriété dans l’ébriété. Ce moi avachi, hagard, titubant me permet de ne plus trop réfléchir. L’alcool assomme mes angoisses, mes pensées, mes nombreux complexes. C’est une fuite, j’en suis conscient, enfin, c’est plutôt une fugue, je fugue de mon mal-être.

Comme toutes les bonnes choses ont une fin, je finis par approcher de chez moi. Je ressens déjà une certaine mélancolie à quitter mon errance nocturne car je sais que le silence de mon appartement est une douche froide. Je quitterais alors la danse des phares aveuglants, les ombres que les lampadaires s’amusent à étaler, les autres gens tout aussi bourrés que moi, j’enlèverai ce manteau mystique que la nuit vous dépose sur les épaules quand vous l’accompagnez trop longtemps, il ne restera que les murs blancs de mon appartement, mes meubles de seconde main et mon cœur vide. L’épicier du coin est encore ouvert. Je vais m’acheter une dernière bière que je vais sûrement boire à moitié pour que la défonce soit vraiment totale. J’ai besoin d’aller dans cet extrême, de m’abrutir en plein. C’est une forme de torture physique pour éprouver mon mental, j’appuie sur stand by à défaut d’appuyer sur off, c’est pas que j’en n’ai pas envie mais je veux pas faire le peine à ma mère. La vie n’a de sens que dans l’amour que les autres éprouvent à votre égard. Et il faut bien les aimer aussi en retour. Aimer, je sais faire, je suis même assez doué pour aimer les autres. C’est moi que j’ai dû mal à aimer. Je ne me trouve rien de bien. Je me supporte parce qu’il le faut, mais vivre avec moi-même est une forme de souffrance. Je ne vous parle pas du physique, mais de s’aimer soi-même, ça va au-delà du fait d’apprécier son image dans un miroir, non, c’est un tout, il faudrait pouvoir s’aimer complètement, sans y penser, sans égocentrisme, juste être heureux d’être celui qu’on est. J’y arrive pas. Je bredouille quand on me parle parce que j’ai peur de dire une connerie ou qu’on se rende compte que je ne suis pas assez intelligent, je m’écrase quand on me parle mal car j’ai peur de réagir trop fort, de devenir violent, je suis mal à l’aise en groupe, j’ai l’impression d’être toujours le mec bizarre. En vrai, tout le monde s’en cogne, mais c’est dans ma tête. Alors, parfois, je me laisse dériver pour oublier tout ça. La nuit jolie est tendre avec moi. Elle est ma cachette, mon refuge.

J’ai du mal à enfoncer la clé dans la serrure de ma porte, enlever mes godasses relève d’un effort quasi olympique et alors que mon corps groggy n’arrive plus à porter le poids de ma peine, je m’écroule sur mon canapé, tout habillé, triste malgré tout. Je me réveillerai demain avec un mal de crâne de l’espace et un profond sentiment de culpabilité. Je tiendrais bon en pensant au surlendemain quand la cuite sera vraiment finie. En attendant, je vais survivre en regardant des trucs débiles à la télé et en buvant des litres de flotte pour évacuer cette nuit vaporeuse. 

Ne t’en fais pas.

Ce soir, une fois de plus, tu as eu une crise d’angoisse au moment du coucher. Toujours cette même angoisse de la mort…

Tu exhales dans un sanglot cette peur de mourir avec tes mots à toi, des mots d’enfant.

A chaque fois je me sens un peu désemparé, déstabilisé, parce que je veux évidemment que tu sois un enfant heureux et épanoui et que cette inquiétude se taise. D’ailleurs, je te réponds invariablement « ne pense pas à quand tu vas mourir, pense plutôt à comment tu veux vivre. ». Je le crois profondément. Tu me dis que tu as peur de mourir, peur que tes grands-parents meurent aussi. Mais je vais te dire un truc, on a tous peur. C’est le drame de l’être humain que d’être conscient, dès son plus jeune âge, de sa propre mort. On est comme ça, avec cette sensation sous-jacente que tout peut s’arrêter. Et c’est ce qui fait que chacun de nos choix, bon ou mauvais, nous déstabilisent, révèlent cette fragilité. On vit comme ça, avec cette sorte de mélancolie ancrée profondément en nous. Un bruit sourd et profond qui résonne dans les abysses de notre âme pour nous rappeler que la vie est une course vers la mort. La plupart des religions ont été inventé pour ça. Pour rassurer les vivants. Se dire qu’un paradis existe, que la vie n’est qu’une étape pour accéder à l’au-delà et qu’en se comportant bien on traînera dans un cosmos idéalisé pendant l’éternité. Ça aide beaucoup de gens. Certains deviendraient fous sinon. Tu le sais, moi, je ne crois pas en tout cela. Je trouve même que ça donne plus de valeur à notre existence car ça amplifie son caractère unique. L’intensité de la vie ne vaut que parce qu’on sait qu’elle est éphémère. Qui voudrait vivre une éternité ? Pas moi. Je ne les juge pas et je les comprends d’une certaine façon. J’aimerai avoir cette tranquillité d’esprit et cette conviction. Mais, j’y peux rien, je suis athée invétéré. Ça serait plus simple pour moi de te dire qu’un dieu bienveillant t’observe avant de t’accueillir dans son Royaume d’anges, de nymphes et que tu passeras l’éternité à danser sur des nuages. Mais tu le sais, je n’aime pas te mentir et je suis un homme pragmatique. Passons, tu te feras ta propre idée quand tu auras l’âge de réfléchir à tout ça.

La seule chose que je peux essayer de t’inculquer, c’est l’amour de la vie. Si j’arrive à te faire comprendre l’importance qu’a l’intensité du soleil naissant quand il emplit le salon de son orange aveuglant, la valeur du frémissement d’un vent frais qui vient te pincer les joues, à partager avec toi le plaisir de manger quelque chose de bon, à faire en sorte que tu te sentes bien dans ta peau, si j’arrive à te faire prendre conscience de l’importance de ces petites choses qui nous rendent si vivants, alors j’aurai fait le boulot. Il y a tant de choses incroyables à découvrir. Et toi, qui est un enfant très curieux, je connais ta soif d’apprendre. Tu veux toujours tout savoir sur tout et une question en entraînant une autre, tu finis à chaque fois par me faire découvrir quelque chose. On apprend tous les jours, c’est aussi un des plaisir de la vie.

Ce qui vaut mon fils, c’est la chaleur de nos étreintes au matin quand, tout juste réveillé, tu viens te blottir contre moi, en silence et que tu viens achever les derniers soubresauts de nuit coincé dans tes yeux mi-clos. Encore cinq minutes et tu me demanderas un petit-déjeuner.

Je ne me lasserai jamais de vous voir vous émerveillés ta sœur et toi de découvrir des nouvelles choses. Alors, je sais, oui, que c’est angoissant de se dire qu’un jour on va mourrir. Mais faisons comme si ce n’était pas important. Y’a trop de choses à vivre. Tu es un petit garçon sensible et c’est à double tranchant. Tes sentiments sont exaltés mais cette sensibilité fait le nid aussi des angoisses et des inquiétudes. Faut en faire une force, une partenaire, plus vite tu auras adhéré à cette idée et mieux tu la géreras.

Tu ne le sais pas encore mais tu vis déjà intensément. Ne t’inquiète pas.

La nage des poissons

Ça nage lentement un poisson…

Penché sur un muret, je regarde au cul d’une péniche deux poissons qui s’accompagnent. Je les observe dans leur lente progression. Ils ondulent l’un derrière l’autre en s’arrêtant de temps à autre histoire de voir s’il n’y a pas une algue à brouter. Qui a déterminé lequel devait suivre l’autre ?

Ils ondulent et mon regard aussi. Le vent vient faire frémir la surface de l’eau et parfois je les perds de vue. Quand l’eau redevient tout à fait calme, je retrouve leur silhouette sombre tantôt lente, tantôt agitée. Les poissons, ils ne se posent pas de questions. Bouffer ou être bouffé, se reproduire un peu et de temps en temps, un pêcheur vient leur arracher la bouche pour finalement les refoutre à l’eau. Presque plus personne ne bouffe du poisson d’eau douce de toute façon. Surtout à ce niveau de la Seine, c’est tellement crade autour que ça t’enlève toute idée de poésie gustative. Des frémissements, une péniche, des poissons qui nagent et des merdes autour. Une paire de canards approche silencieusement en jetant des coups d’œil intéressés. Ils ont tranché le fleuve de leur sillon venant déranger la surface irisée du fleuve, des vagues contre des vagues et c’est tout. Des corneilles observent avec moi mais elles ne peuvent pas s’empêcher de gueuler des incantations de leur voix rauque et lugubre. La brise est légère contrairement à mon âme qui cherche, elle aussi, un poisson à suivre.

Comme eux, je voudrais prendre le temps et me laisser porter par le courant. Ne faire qu’un avec les éléments, être un tout. Mes molécules et celles du vent dans un seul et même mouvement. Je suis la feuille, la fleur, la terre et le temps. Mon téléphone vibre dans ma poche, je ne vérifie pas ce que c’est, je suis dans le déni en ce moment, mais cette alerte me ramène à la réalité et je sens la gravité m’écraser comme jamais. Je regarde une dernière fois les poissons avant de retourner dans l’agitation de la ville. Ça nage lentement un poisson.

Intense aimant

J’ai longtemps cru qu’il fallait vivre intensément. Je me trompais alors dans ma définition de l’intensité. Je la plaçais très haut dans ma liste des besoins vitaux alors qu’elle était près de moi, soumise à l’attention que j’aurais dû lui porter. Ma devise, c’était « je dormirai quand je serai mort ». Je me trompais terriblement. Je voulais en fait, vivre extraordinairement. Comme si les minutes passées à m’ennuyer ou à ne rien faire étaient un terrible gâchis. C’est une notion inextinguible, l’extraordinaire. Comment combler l’inaccessible ? Alors parfois, on triche, et on s’abandonne à l’adrénaline, à l’endorphine… par des prises de risques, par des prises de drogues… J’ai été comme ça et je pensais que je brûlais la vie comme personne. J’avais quelque chose à lui prouver à la vie. En la défiant, j’éreintais son emprise sur une potentielle vie monotone. Vivre à fond ou rien d’autre. Je n’avais rien compris. Je n’avais pas compris que l’intensité se trouve partout. Dans ce vent frais qui remplit mes poumons le matin quand j’ouvre ma fenêtre, dans le jus de ce fruit qui coule dans ma gorge quand je croque dedans, dans l’étreinte d’un être aimé, dans ce souvenir qui nous revient et qui dessine sur nos visages un sourire sans témoin, dans cette pluie qui nous coule dessus dont on se rend compte, tout d’un coup, que ce n’est pas si grave. Toutes ces choses sont remplies d’intensité, une intensité instinctive, primaire, nécessaires, indispensables. Le jour où je ne m’émouvrais plus de la morsure du soleil ou du parfum de l’herbe coupée alors je saurais que le cynisme l’aura emporté.

Je me souviens de mes gesticulations d’être humain débordé par son envie de combler le vide. Sûrement une façon de ne pas me retrouver seul avec moi-même. Bizarrement, ça devient une addiction, on n’arrive plus à redescendre et surtout plus rien n’est assez intense. J’ai aimé d’un amour abyssal, j’ai fait l’amour comme si j’allais mourrir avant l’aube, je me suis jeté dans la nuit éperdument. J’ai aimé ses odeurs, son frisson, l’écho des rues endormies, les regards inquiétants, les silhouettes nerveuses et les silences de mes pas. La nuit, c’est de l’intensité pure et je l’ai aimé pour ça. Parfois, mes errances me manquent. J’ai peut-être vieilli. Non, j’ai vieilli tout court. Aujourd’hui, c’est la parentalité qui m’apporte cette intensité et chaque jour je suis comblé par mes angoisses et mes fiertés de voir mes enfants découvrir la vie dans ce qu’elle a de plus beau mais aussi dans ce qu’elle peut être blessante et je souffre avec eux de redécouvrir ces premières fois.

Le testament

Je ne suis pas suicidaire, ni dépressif, je ne suis pas non plus spécialement porté sur les questions du trépas, mais je me pose quand même la question de ma mort et de la cérémonie qui accompagnerait mon enterrement. Qu’est-ce que j’aurai laissé à ce monde ? Qui se souviendra de moi ? Et combien de temps je resterai dans les esprits de ceux qui m’ont aimés ? Plus les proches disparaissent et plus vous avez une idée précise de ce que vous voulez et surtout de ce que vous ne voulez pas.

Pour tout vous dire, mon premier choix était plutôt dirigé vers une crémation. Mais, pour en avoir vécu quelques unes, j’y suis désormais opposé. Des crématorium perdus dans des zones industrielles, une petite salle décorée dans des tons saumonés ou beiges ornée de voilages pastel transparents pour une lumière tamisée mais pas trop sombre non plus. Un cercueil en planche qui disparait par une trappe menant droit au four. Et une fois calciné, on revient le lendemain pour répandre vos cendres dans un carré de pelouse dédié dans le cimetière de votre commune, ou pire, une personne de votre famille garde votre urne. Glauque. On peut aussi glisser l’urne dans un coffre funéraire que l’on scellera avec une plaque commémorative au milieu d’autres plaques en marbre ou en laiton. On y déposera des petites fleurs dans un petit cône suspendu.

Non. Vraiment pas. Merci bien.

Je suis athée et je sais que mon corps ne sera plus que de la matière en décomposition mais pourtant, là où mon corps sera après ma mort m’importe.

J’aimerai qu’on puisse venir se recueillir encore un peu avant qu’on ne m’oublie complètement. Comme si les visites de mes proches les feraient m’aimer encore un peu plus longtemps. Très égoïstement oui.

Mon idéal aurait été que je sois enterré à même le sol et qu’on laisse la nature faire son travail mais c’est interdit. On ne peut même plus pourrir comme on veut. Il y’a bien cette entreprise qui permet de faire pousser un arbre en plantant une graine dans vos cendres mais là encore ça suggère une crémation et en plus cette société n’existe pas en France.

Je laisserai à mon notaire un plan d’évasion de mon corps avec la complicité de mes enfants et ils iront m’enterrer au bord d’un étang dans ma Camargue natale. Comme ça, quand ils viendront me saluer, ils verront les reflets roses-orangés du soleil couchant sur les eaux calmes des étangs. Les flamands roses, au loin, dressés sur leurs pattes, le cou planté dans la vase à la recherche de nourriture, les roseaux bercés par une légère brise chaude, les mouettes qui volent au dessus du monde. Que ce sud me manque, ce sud là, ce sud sauvage, ces odeurs d’iode, ce sentiment de bout du monde, quand on est seul au bout d’une digue à écouter les vagues s’échouer sur les rochers. Les crabes maladroits avec leurs pinces en l’air semblant toujours prêts à en découdre. Les petites moules, les unes sur les autres, immobiles, attendent patiemment de gagner quelques millimètres.

Je ne veux pas être enterré à Villeneuve-la-Garenne, ce n’est pas chez moi, ce n’est pas ma ville, je ne m’y sens pas chez moi. Je m’y sens toujours étranger. Bientôt 8 ans que j’y vis et j’ai toujours l’impression d’être en transit, de passage. Cette ville ne ressemble à rien, ne me ressemble en rien. Ce n’est même pas une ville, c’est une concentration d’immeubles et rien. Pas d’âme, pas de cœur, pas d’envie, pas d’ambition. La ville la plus chiante de France. Je crois que je lui préférais un village, j’aurai au moins la nature à deux pas. Mais l’Île-de-France, c’est du béton, des cités, des gens crispés et des aigris comme moi, sur des kilomètres et des kilomètres. Donc non, je ne veux pas y être enterré. Les enfants, si vous lisez ça un jour, faites une sorte que ça n’arrive pas ok ? Et si vous ne pouvez pas, dressez moi au moins un cénotaphe ailleurs qu’ici. Comme Brassens a Sète.

D’ailleurs, dans « Supplique pour être enterré sur une plage à Sète », Georges Brassens disait :

« J’ai cru bon de remettre à jour mon testament,

De me payer un codicille. Trempe dans l’encre bleue du Golfe du Lion,

Trempe, trempe ta plume, ô mon vieux tabellion,

Et de ta plus belle écriture,

Note ce qu’il faudra qu’il advint de mon corps,

Lorsque mon âme et lui ne seront plus d’accord… » […]

[…] « Juste au bord de la mer à deux pas des flots bleus
Creusez si c’est possible un petit trou moelleux
Une bonne petite niche
Auprès de mes amis d’enfance, les dauphins
Le long de cette grève où le sable est si fin
Sur la plage de la corniche »

Quand on est un enfant de la Méditerranée, on l’aime à tout jamais. Elle reste dans notre cœur cette mer plate et sans âge. Dans nos veines coulent des millénaires d’histoire. Enfant, je courrais le long des vestiges romain d’Ambrussum en me prenant pour un soldat antique, non j’étais plutôt un gaulois rebelle. Mes mollets se faisaient griffer par les herbes sèches de la garrigue. Thym, romarin, camphorine, genêt, salspareille, nombril de vénus…et bien sûr la lavande. Le long de la route de la mer, les vergers d’abricots, de pêches, de brugnons… succèdent aux champs de melons qui laissent leur place aux manades dans lesquelles des troupeaux de taureaux se reposent, silhouettes noires immobiles que l’ont aimé regarder par la fenêtre de la voiture quand on allait à la plage. Quelques chevaux de Camargue parfois passaient leur tête par dessus l’enclos pour manger les herbes hautes dépassant la clôture électrique.

J’ai fui cette terre pour me trouver moi, j’ai surtout fui une histoire, j’ai fui les gens, comme si partir effacerait celui que j’ai été ou ce que j’ai vécu. Ça n’a pas marché. Comme si j’avais simplement détourné le regard. Mais aujourd’hui, je peux regarder ce passé en face et je ne vois plus que cette nature omniprésente qui m’a accompagnée toute mon enfance, quand je chassais les sauterelles et les papillons, quand je soulevais des pierres pour y trouver des cloportes ou des scorpions ou quand j’essayais d’être plus vif que les lézards dont il ne me restait plus que la queue détachée dans la main.

Du sable fin de la Grande-Motte à la roche de calcaire et de schiste du Pic Saint-Loup, tout ceci, c’est moi et je veux pourrir là-bas. Je veux pourrir à côté des tamaris et des lauriers, près des eaux troubles et sablonneuses du delta du Rhône. Je pardonne même aux taons et aux moustiques, aux guêpes et aux frelons. Je ne me plaindrai plus des odeurs âcres des melons qui pourrissent et des étangs qui sèchent l’été. Promis, je serais un gentil camarguais en pantalon en moleskine, en veste de Palatine noire doublée en satin rouge, une chemise en lin, rouge aussi mais unie, pas de chafarcanis, c’est ma limite.

Pour l’épitaphe, je vous laisse choisir. Mettez un truc rigolo genre « il aimait trop les chips ».

La marche

Je suis levé avant le soleil car la vie n’attend pas les soupirs des aubes frémissantes. Dehors la nuit recouvre la ville d’un épais silence et chacun de mes gestes est une offense à ce dernier. J’ai gardé un peu de sommeil au coin des yeux et je mets beaucoup d’espoir dans ce café que j’avale lentement. Le soleil commence à frotter l’horizon pendant que mes pas pressés me mènent vers la même journée qu’hier.

Le même chemin, les mêmes transports toujours bondés, les mêmes gueules fermées qui souffrent de cet amas permanent de gens, le badge, poche droite, les portes coulissantes, bonjour à l’hôtesse d’accueil, l’ascenseur, troisième étage, allumer l’ordinateur, s’asseoir, avoir envie de partir, de courir loin, besoin d’intensité, tout le temps. Mon corps est contrit, mon air est faible, mon souffle souffre, mes fesses s’engouffrent dans le fauteuil ergonomique qui n’a plus rien de confortable. Les collègues arrivent les uns après les autres, on se salue, on se supporte, on se ment en se disant « ça va ». Je ne tiens pas en place, mes doigts s’activent sur le clavier avec vivacité, comme si le fait de taper vite aller faire en sorte que cette journée s’achève plus rapidement ou juste mes doigts qui sont le prolongement de mon corps qui n’en peut plus d’être assis devant cet écran. Je pense au salaire, à ma vie, je tiens bon. La journée est une accumulation d’emmerdes, des ragots, de coups de bourre, d’ennui, énormément d’ennui. Je repense à ma petite marche le matin le long de la rue de Chateaudun, un quart d’heure de joues qui crépitent sous le froid vif et blanc, les vrombissements des scooters, des bus, des voitures, les livreurs mal garés déposent leurs palettes devant les boutiques, certains promènent leur chien, d’autres leurs angoisses. Ici, un vieux, clope au bec, observe la cacophonie, le marchant de journaux attend désespérément des lecteurs qui se font de plus en plus rares. Là, des gens s’insultent pour rien. Les vélos zigzaguent, les piétons divaguent et moi j’enlace mon petit quart d’heure de marche. Je réfléchis à comment vivre ma vie pour que ce petit quart d’heure devienne mes journées.

Je suis bien dans Paris à marcher sans arrêt. Ça existe ça, marcheur professionnel ? Je ne crois pas et pourtant mon bonheur est là, enfin était là. Il s’est fait la malle, depuis longtemps, non pas que je sois malheureux mais on peut vivre sans bonheur et ne pas être déprimé pour autant. On peut considérer le bonheur comme le bonus de la vie. La plupart d’entre nous nous contentons de ça, vivre.

Donc, mon bonheur est parti, ou plus exactement c’est moi qui l’ai congédié. C’est la faute du temps. Il m’a inoculé l’impatience. J’ai toujours été comme ça, impatient. Mais, ce coup-ci, le temps m’a fait croire que j’en n’avais plus, du temps.

Au début, il a fait en sorte que je cours après lui, puis après, il m’a carrément fait croire que je n’en aurais jamais assez. J’ai commencé à paniquer. Quand on est otage du temps, il est difficile de négocier. Je vous rassure, pas de syndrome de Stockholm avec lui. Il est plutôt du genre mélasse gluante alors que je le pensais élastique. Bref, me voilà les pieds croisés sur la moquette bleue d’un bureau aux parois vitrées, au faux plafond à carreaux blancs, aux murs blancs, d’une chiantitude absolue, j’observe les bureaux de mes collègues, beaucoup ont baissé les bras, je le sais car ils ont personnalisé leur bureau avec la photo de leurs enfants, les badges des différents salons ou conférences auxquels ils ont participé, une peluche mascotte, une photo de star, un dessin subversif, bref, personnalisé. Ça fait dix piges que je suis là et je me refuse à personnaliser mon bureau, c’est ma petite révolution à moi, ma mutinerie personnelle, tant que je personnalise pas je suis toujours vivant, toujours libre, accroché à rien ni personne, ce bureau restera un bureau anodin, anonyme, du genre qu’on peut quitter sans amertumes ni regrets. D‘ailleurs quand je suis parti, je n’avais pas fait de gros cartons avec plein de souvenirs, j’ai rien pris. Comme si 10 ans devenait 10 jours et une fois dehors j’étais le même qu’en entrant, un homme libre. Au chômage certes, mais libre. Et voilà pas que le bonheur ramène sa fraise, tout guilleret ? Comme un vieux copain qui rentre de vacances ?

⁃ « Alors vieux frère, c’était donc ça ? J’ai cru que travailler, gagner de l’argent, des responsabilités, de la reconnaissance professionnelle ferait de moi un homme heureux ? Et toi, pile à ce moment là, tu te barres ! ».

⁃ « Désolé, mais pour bien me connaître il faut apprendre à me perdre un peu. Et puis, depuis le début j’étais pas emballé par ton idée de réussite et tout. Viens, on va marcher ».

Oh oui ! Marcher ! J’ai suivi le trottoir et sans jamais me retourner, je quittais 10 ans de ma vie, 10 ans qui ont fait l’homme que je suis aujourd’hui. Mais, quel homme je suis aujourd’hui ?