Un argument de poids

J’aurai voulu ressembler à ces hommes des magazines, ces mecs aux abdos seyants affichés dans les abribus, les cheveux épais et dociles qui surplombent deux yeux perçants, un peu vides que des sourcils parfaitement taillés rendent virils.

J’aurai voulu être grand, avoir le ventre plat, des pectoraux de statues grecques, des mollets fins et musclés, des mains longues et veinées, une voix grave et suave. J’aurais voulu être un homme-vitrine, un type qui peut se targuer d’être beau même en espadrille et en bermuda à motif (ce qui est une performance). J’aurai voulu être de ces hommes un peu silencieux et mystérieux qui cachent derrière leur visage terne une vie légère et mouvementée.

C’est ma faiblesse, cette petite coquetterie physionomique, ce petit délire superficiel. Mais mon combat contre mes kilos a eu raison de moi. Une guerre de 20 ans, rendu coup pour coup, des mois de sport contre des mois de bouffe. C’est tellement plus facile et plaisant de prendre que de perdre. C’est un principe que l’on peut décliner sur beaucoup de choses tiens !

Je vais avoir 36 ans. J’ai les golfes temporaux qui se transforment en désert capillaire, la barbe nonchalante, la peau sèche et les pieds plats. J’ai plus de seins que Jane Birkin et un traversin à la place du ventre.

Je continue de me cacher, d’avoir honte de ce corps difforme que des gens peu subtils s’empressent de moquer. Combien de « blagues » sur ma corpulence vais-je devoir encore supporter ? Une association simple ce fait dans le cerveau des gens : gros = bonhommie = sympathique = on peut lui balancer dans la tronche qu’il est gros, ça va être drôle et le faire rire car comme il est gros, il a le sens de l’humour et du recul sur lui. Bah… non en fait !

Voilà, un schéma dont j’ignore les origines mais qui continue de perdurer. Il y a une autre catégorie de personne, celle qui estime que si vous êtes gros, c’est de votre faute, vous avez qu’à vous bouger le cul ! Ces mêmes gens qui regardent les obèses en train de manger en se demander comment ils peuvent se permettre alors qu’ils sont gros. Ces gens que vous répugnez, qui vous regardent avec mépris, voire dégoût. Je n’en suis pas victime car pas si gros mais j’observe, j’écoute et je suis à mon tour dégoûté par la méchanceté des gens.

A quel moment tu te dis que c’est une bonne idée de dire à une personne en surpoids « t’as encore grossi non ? » Une fois, on m’a proposé une version alternative « Oh, ben dis donc, t’as pas maigri toi hein ? » avec un petit rire de satisfaction pour son bon mot. C’est vrai que c’était super drôle, je m’en claque encore les cuisses de rire…

«  T’as qu’à faire du sport ! »
Ah ben oui, dis donc, c’est vrai, j’y avais pas pensé…

Faire du sport. Je m’arrête un instant sur cet argument qui revient fréquemment et qui paraît légitime dans la bouche de celui qui vous le propose. Quand on est gros, on souffre, on s’essouffle rapidement, on a honte car on a l’impression de ne pas être légitime en tant que sportif, on a peur d’être moquer comme le « gros qui veut perdre du poids » même si en l’occurrence c’est le cas. J’ai d’ailleurs lu récemment sur twitter la réflexion pleine de subtilité d’une jeune fille inspirée probablement par les clameurs du printemps naissant : « J’en ai marre de voir tous ces gros se mettre à courir avant l’été. Vous serez toujours gros ! Arrêtez de manger sérieux ! » Pour des raisons de sécurité mentale, je retranscris ce tweet corrigé.

Je voudrais qu’on puisse faire faire du sport aux gros, mais du sport adapté, des petits efforts, de la progression lente à chacun son rythme, qu’on les soutienne, qu’on les motive sans les culpabiliser s’ils n’arrivent pas. Je voudrais qu’on leur donne l’envie de croire que c’est possible, qu’ils sont capables. Mais, les clubs fitness qui sont nés un peu partout coutent chers et surtout, vous êtes livré à vous même et souvent, vous abandonnez !

Faire du sport pour ne pas tomber malade. Parce ce que pour moi, le surpoids, c’est surtout le risque qu’on prend pour sa santé. Ça devrait être plutôt ça la source de motivation que de penser qu’on pourrait ressembler à ces mannequins de magazine.

Mais, faire du sport ne suffit pas pour perdre du poids. Vous allez en perdre oui, mais ce qui compte c’est un équilibre alimentation / dépense calorique, et surtout stabiliser le poids une fois que la masse perdue souhaitée est atteinte. Encore faut il avoir envie de perdre du poids, car ce n’est pas une obligation, si vous êtes heureux comme vous êtes, ne changez rien.