Je ne suis pas suicidaire, ni dépressif, je ne suis pas non plus spécialement porté sur les questions du trépas, mais je me pose quand même la question de ma mort et de la cérémonie qui accompagnerait mon enterrement. Qu’est-ce que j’aurai laissé à ce monde ? Qui se souviendra de moi ? Et combien de temps je resterai dans les esprits de ceux qui m’ont aimés ? Plus les proches disparaissent et plus vous avez une idée précise de ce que vous voulez et surtout de ce que vous ne voulez pas.
Pour tout vous dire, mon premier choix était plutôt dirigé vers une crémation. Mais, pour en avoir vécu quelques unes, j’y suis désormais opposé. Des crématorium perdus dans des zones industrielles, une petite salle décorée dans des tons saumonés ou beiges ornée de voilages pastel transparents pour une lumière tamisée mais pas trop sombre non plus. Un cercueil en planche qui disparait par une trappe menant droit au four. Et une fois calciné, on revient le lendemain pour répandre vos cendres dans un carré de pelouse dédié dans le cimetière de votre commune, ou pire, une personne de votre famille garde votre urne. Glauque. On peut aussi glisser l’urne dans un coffre funéraire que l’on scellera avec une plaque commémorative au milieu d’autres plaques en marbre ou en laiton. On y déposera des petites fleurs dans un petit cône suspendu.
Non. Vraiment pas. Merci bien.
Je suis athée et je sais que mon corps ne sera plus que de la matière en décomposition mais pourtant, là où mon corps sera après ma mort m’importe.
J’aimerai qu’on puisse venir se recueillir encore un peu avant qu’on ne m’oublie complètement. Comme si les visites de mes proches les feraient m’aimer encore un peu plus longtemps. Très égoïstement oui.
Mon idéal aurait été que je sois enterré à même le sol et qu’on laisse la nature faire son travail mais c’est interdit. On ne peut même plus pourrir comme on veut. Il y’a bien cette entreprise qui permet de faire pousser un arbre en plantant une graine dans vos cendres mais là encore ça suggère une crémation et en plus cette société n’existe pas en France.
Je laisserai à mon notaire un plan d’évasion de mon corps avec la complicité de mes enfants et ils iront m’enterrer au bord d’un étang dans ma Camargue natale. Comme ça, quand ils viendront me saluer, ils verront les reflets roses-orangés du soleil couchant sur les eaux calmes des étangs. Les flamands roses, au loin, dressés sur leurs pattes, le cou planté dans la vase à la recherche de nourriture, les roseaux bercés par une légère brise chaude, les mouettes qui volent au dessus du monde. Que ce sud me manque, ce sud là, ce sud sauvage, ces odeurs d’iode, ce sentiment de bout du monde, quand on est seul au bout d’une digue à écouter les vagues s’échouer sur les rochers. Les crabes maladroits avec leurs pinces en l’air semblant toujours prêts à en découdre. Les petites moules, les unes sur les autres, immobiles, attendent patiemment de gagner quelques millimètres.
Je ne veux pas être enterré à Villeneuve-la-Garenne, ce n’est pas chez moi, ce n’est pas ma ville, je ne m’y sens pas chez moi. Je m’y sens toujours étranger. Bientôt 8 ans que j’y vis et j’ai toujours l’impression d’être en transit, de passage. Cette ville ne ressemble à rien, ne me ressemble en rien. Ce n’est même pas une ville, c’est une concentration d’immeubles et rien. Pas d’âme, pas de cœur, pas d’envie, pas d’ambition. La ville la plus chiante de France. Je crois que je lui préférais un village, j’aurai au moins la nature à deux pas. Mais l’Île-de-France, c’est du béton, des cités, des gens crispés et des aigris comme moi, sur des kilomètres et des kilomètres. Donc non, je ne veux pas y être enterré. Les enfants, si vous lisez ça un jour, faites une sorte que ça n’arrive pas ok ? Et si vous ne pouvez pas, dressez moi au moins un cénotaphe ailleurs qu’ici. Comme Brassens a Sète.
D’ailleurs, dans « Supplique pour être enterré sur une plage à Sète », Georges Brassens disait :
« J’ai cru bon de remettre à jour mon testament,
De me payer un codicille. Trempe dans l’encre bleue du Golfe du Lion,
Trempe, trempe ta plume, ô mon vieux tabellion,
Et de ta plus belle écriture,
Note ce qu’il faudra qu’il advint de mon corps,
Lorsque mon âme et lui ne seront plus d’accord… » […]
[…] « Juste au bord de la mer à deux pas des flots bleus
Creusez si c’est possible un petit trou moelleux
Une bonne petite niche
Auprès de mes amis d’enfance, les dauphins
Le long de cette grève où le sable est si fin
Sur la plage de la corniche »
Quand on est un enfant de la Méditerranée, on l’aime à tout jamais. Elle reste dans notre cœur cette mer plate et sans âge. Dans nos veines coulent des millénaires d’histoire. Enfant, je courrais le long des vestiges romain d’Ambrussum en me prenant pour un soldat antique, non j’étais plutôt un gaulois rebelle. Mes mollets se faisaient griffer par les herbes sèches de la garrigue. Thym, romarin, camphorine, genêt, salspareille, nombril de vénus…et bien sûr la lavande. Le long de la route de la mer, les vergers d’abricots, de pêches, de brugnons… succèdent aux champs de melons qui laissent leur place aux manades dans lesquelles des troupeaux de taureaux se reposent, silhouettes noires immobiles que l’ont aimé regarder par la fenêtre de la voiture quand on allait à la plage. Quelques chevaux de Camargue parfois passaient leur tête par dessus l’enclos pour manger les herbes hautes dépassant la clôture électrique.
J’ai fui cette terre pour me trouver moi, j’ai surtout fui une histoire, j’ai fui les gens, comme si partir effacerait celui que j’ai été ou ce que j’ai vécu. Ça n’a pas marché. Comme si j’avais simplement détourné le regard. Mais aujourd’hui, je peux regarder ce passé en face et je ne vois plus que cette nature omniprésente qui m’a accompagnée toute mon enfance, quand je chassais les sauterelles et les papillons, quand je soulevais des pierres pour y trouver des cloportes ou des scorpions ou quand j’essayais d’être plus vif que les lézards dont il ne me restait plus que la queue détachée dans la main.
Du sable fin de la Grande-Motte à la roche de calcaire et de schiste du Pic Saint-Loup, tout ceci, c’est moi et je veux pourrir là-bas. Je veux pourrir à côté des tamaris et des lauriers, près des eaux troubles et sablonneuses du delta du Rhône. Je pardonne même aux taons et aux moustiques, aux guêpes et aux frelons. Je ne me plaindrai plus des odeurs âcres des melons qui pourrissent et des étangs qui sèchent l’été. Promis, je serais un gentil camarguais en pantalon en moleskine, en veste de Palatine noire doublée en satin rouge, une chemise en lin, rouge aussi mais unie, pas de chafarcanis, c’est ma limite.
Pour l’épitaphe, je vous laisse choisir. Mettez un truc rigolo genre « il aimait trop les chips ».