Ce soir, une fois de plus, tu as eu une crise d’angoisse au moment du coucher. Toujours cette même angoisse de la mort…
Tu exhales dans un sanglot cette peur de mourir avec tes mots à toi, des mots d’enfant.
A chaque fois je me sens un peu désemparé, déstabilisé, parce que je veux évidemment que tu sois un enfant heureux et épanoui et que cette inquiétude se taise. D’ailleurs, je te réponds invariablement « ne pense pas à quand tu vas mourir, pense plutôt à comment tu veux vivre. ». Je le crois profondément. Tu me dis que tu as peur de mourir, peur que tes grands-parents meurent aussi. Mais je vais te dire un truc, on a tous peur. C’est le drame de l’être humain que d’être conscient, dès son plus jeune âge, de sa propre mort. On est comme ça, avec cette sensation sous-jacente que tout peut s’arrêter. Et c’est ce qui fait que chacun de nos choix, bon ou mauvais, nous déstabilisent, révèlent cette fragilité. On vit comme ça, avec cette sorte de mélancolie ancrée profondément en nous. Un bruit sourd et profond qui résonne dans les abysses de notre âme pour nous rappeler que la vie est une course vers la mort. La plupart des religions ont été inventé pour ça. Pour rassurer les vivants. Se dire qu’un paradis existe, que la vie n’est qu’une étape pour accéder à l’au-delà et qu’en se comportant bien on traînera dans un cosmos idéalisé pendant l’éternité. Ça aide beaucoup de gens. Certains deviendraient fous sinon. Tu le sais, moi, je ne crois pas en tout cela. Je trouve même que ça donne plus de valeur à notre existence car ça amplifie son caractère unique. L’intensité de la vie ne vaut que parce qu’on sait qu’elle est éphémère. Qui voudrait vivre une éternité ? Pas moi. Je ne les juge pas et je les comprends d’une certaine façon. J’aimerai avoir cette tranquillité d’esprit et cette conviction. Mais, j’y peux rien, je suis athée invétéré. Ça serait plus simple pour moi de te dire qu’un dieu bienveillant t’observe avant de t’accueillir dans son Royaume d’anges, de nymphes et que tu passeras l’éternité à danser sur des nuages. Mais tu le sais, je n’aime pas te mentir et je suis un homme pragmatique. Passons, tu te feras ta propre idée quand tu auras l’âge de réfléchir à tout ça.
La seule chose que je peux essayer de t’inculquer, c’est l’amour de la vie. Si j’arrive à te faire comprendre l’importance qu’a l’intensité du soleil naissant quand il emplit le salon de son orange aveuglant, la valeur du frémissement d’un vent frais qui vient te pincer les joues, à partager avec toi le plaisir de manger quelque chose de bon, à faire en sorte que tu te sentes bien dans ta peau, si j’arrive à te faire prendre conscience de l’importance de ces petites choses qui nous rendent si vivants, alors j’aurai fait le boulot. Il y a tant de choses incroyables à découvrir. Et toi, qui est un enfant très curieux, je connais ta soif d’apprendre. Tu veux toujours tout savoir sur tout et une question en entraînant une autre, tu finis à chaque fois par me faire découvrir quelque chose. On apprend tous les jours, c’est aussi un des plaisir de la vie.
Ce qui vaut mon fils, c’est la chaleur de nos étreintes au matin quand, tout juste réveillé, tu viens te blottir contre moi, en silence et que tu viens achever les derniers soubresauts de nuit coincé dans tes yeux mi-clos. Encore cinq minutes et tu me demanderas un petit-déjeuner.
Je ne me lasserai jamais de vous voir vous émerveillés ta sœur et toi de découvrir des nouvelles choses. Alors, je sais, oui, que c’est angoissant de se dire qu’un jour on va mourrir. Mais faisons comme si ce n’était pas important. Y’a trop de choses à vivre. Tu es un petit garçon sensible et c’est à double tranchant. Tes sentiments sont exaltés mais cette sensibilité fait le nid aussi des angoisses et des inquiétudes. Faut en faire une force, une partenaire, plus vite tu auras adhéré à cette idée et mieux tu la géreras.
Tu ne le sais pas encore mais tu vis déjà intensément. Ne t’inquiète pas.