Paris intraveineuse

Je marchais dans les rues de Paris sans but précis. Je rendais hommage aux vieilles pierres en les caressant d’un regard affectueux. De combien d’événements avaient-elles dû être témoins ? Des révolutions les ont frôlées, servant de guide à des manifestations de joie ou de colère, des cris de toutes sortes ont rebondit sur leur surface polie. Un couple s’est-il embrassé, là, juste dans l’angle de cette ruelle ? Un homme s’est-il fait voler ici sous cette plaque de rue ? Des trahisons se sont-elles décidées sur ce banc ? Je marchais et je me racontais des histoires, en fait, j’essayais d’y trouver la mienne.

Les trottoirs des avenues convergeaient à l’horizon en un point fixe et je me demandais toujours ce qu’il y avait derrière, Marco Polo des villes, je sillonnais la capitale sur mon navire intérieur. C’est fou le nombre de kilomètres que l’on peut absorber quand on est soi-même envahi par la beauté et la curiosité.

5, 6, 7 heures de marche parfois et jamais je ne m’ennuyais. Je commençais par la populaire avenue D’Alésia où je pouvais choisisir de prendre sur l’avenue du Maine jusqu’à la tour Montparnasse et ses boutiques ou par l’avenue du Général Leclerc jusqu’à la réplique « miniature »  du lion de Belfort au centre de la place Denfert-Rochereau qui abrite les fameuses catacombes.

Selon ce choix, la balade était tout autre.

Par la première, je bifurquais, une fois la tour Montparnasse dépassée, sur l’interminable rue de Rennes qui me déposait sur un Saint-Germain-des-Près bouillonnant que je jalousais aux touristes, voulant le quartier pour moi tout seul, mais je ne pouvais lui enlever son histoire et sa réputation déchue. Puis, j’allais prendre la rue de Seine et regarder les œuvres d’art dans les galeries avec l’espoir un jour d’y acheter un tableau. Remonter jusqu’à la Seine, traverser le pont des Arts, noyé sous les cadenas de l’amour, me retourner pour voir la splendeur de l’hôtel de la Monnaie et son dôme doré, croiser la rue de Rivoli, sanctuaire de la mourante Samaritaine et se perdre dans Châtelet, le Marais, le quartier des Enfants Rouges et son petit marché, le Paris des petites rues.

Par la deuxième, l’avenue Denfert-Rochereau me transportait vers Port-Royal après avoir fait une halte à la fondation Cartier où j’ai découvert Ron Mueck, Takeshi Kitano ou encore la folie de Patti Smith. En sortant, je regardais la nouvelle fresque sur le mur de l’éminente école des arts décoratifs Camondo qui a donné naissance à Philippe Starck, Pierre Paulin et Jean-Michel Wilmotte pour ne citer que les plus célèbres. Je continuais par les jardins des Grands Explorateurs avant de m’évanouir dans la magnificence des jardins du Luxembourg. Il y a, non loin de là, Saint-Sulpice fière et mystique, plus loin, Odéon, puis, à nouveau, l’éternel Saint-Germain-des-Près. l’histoire recommence.

Je me rendais compte qu’il était quasiment impossible de se perdre dans Paris. Je me perdais plus facilement dans mes pensées. Ces longues balades ressemblaient à un long apprentissage entre moi et la ville, on se faisait la cour timidement et nous n’avions pas mis longtemps à succomber l’un et l’autre à notre passion amoureuse. Mais, Paris m’aime-t-elle encore ? Elle a beaucoup de courtisans, c’est vrai ! A-t-elle le cœur assez grand pour tous nous combler ? Elle a dû mal et parfois, l’aventure tourne au drame, laissant beaucoup d’amants et de maîtresses sur le carreau, les forçant à la quitter, leur laissant le goût amer d’une histoire qu’on a trop idéalisé. Paris n’est pas une femme facile. Paris est une Passionaria sensuelle et enivrante, mais, c’est la seule maîtresse à qui je pardonne ses infidélités. Ceux qui la quittent reviennent toujours de temps en temps comme on vient voir une vieille amie.

Je reprenais conscience place de la Bourse, sans m’en rendre compte. C’était le gros logo de l’AFP qui m’avait interpellé dans le coin de mon œil gauche. Je marchais parfois comme hypnotisé en avalant goulûment les kilomètres de bitume et de pavés. J’émergeais souvent beaucoup plus loin que prévu, sur les Grands Boulevards par exemple que je suivais quand j’en avais le courage, jusqu’à atteindre beaucoup plus bas l’Opéra Garnier, l’effort valait la peine quand on le voit étincelant, trôner parmi les plus beaux monuments parisiens (petite confidence, c’est pour moi, le plus beau de tous). Une fois même, je me suis retrouvé à la Gare de l’Est, sans faire attention au temps qui passait.

Je faisais demi-tour jusqu’au Musée du Louvre en passant par la rue de Richelieu. Un coup d’œil sur la pyramide, puis, sur l’alignement avec l’obélisque de la Concorde au loin et encore après, l’Arc de Triomphe. Je n’allais pas vers les Champs-élysées, ça me déprimait trop. Un symbole mondiale devenu une honte, une cicatrice purulente de boutiques déprimantes et d’enseignes franchisées que l’ont retrouve dans n’importe quelle avenue commerciale un peu fréquentée. Je m’approche tout au plus du Grand Palais pour des intérêts culturels, mais les Champs…  

En dépassant le Louvre, là encore, plusieurs options s’offraient à moi. Prendre à droite et, si j’en avais encore la force, aller flâner dans le musée d’Orsay que j’adore, ou, comme je le faisais souvent, filer à gauche sur la rue des Saints-pères pour regarder la frise sculptée de la faculté de médecine avant de terminer ma course à Sèvres-Babylone afin de me faire un petit plaisir à la grande épicerie du Bon Marché. J’y achetais une bonne bouteille d’un Bourgogne rouge, du Belota tranché finement et je languissais déjà de rentrer pour en profiter. Un luxe que je m’offrais parfois sans culpabilité ni snobisme.

Je finissais ma journée sur la terrasse d’un café de la rue Daguerre pour reposer mes jambes et regarder les badauds faire leurs emplettes sous les appels des primeurs, bouchers, et autres poissonniers qui animaient la rue.

L’hiver encore jeune déposait une nuit précoce, laissant aux lampadaires le soin d’habiller les façades des immeubles, d’ombres apaisées. Je n’avais plus qu’à retourner à ma solitude et attendre le lendemain pour la parcourir une nouvelle fois toujours avec le même enthousiasme et une sorte de liberté totale dans le cœur.