Comment être un entrepreneur nul : mode d’emploi.

Voilà plus de 10 ans maintenant que je suis à mon compte.

J’avais cédé aux sirènes de l’auto-entrepreunariat, suivant ainsi les nombreux cortèges de salariés bénéficiants d’un « plan de sauvegarde de l’emploi » à la suite d’une « clause de cession ». 

J’avais à cette occasion profité de ce départ pour entamer un bilan de compétence pendant lequel je réclamais sans cesse que je ne voulais plus passer ma vie assis derrière un ordinateur et que je souhaitais démarrer une nouvelle vie professionnelle. 

Après une série de QCM standard censés donner une ligne directrice sur qui je suis et ce que je peux être, la conseillère m’a guidé vers une formation… de web design. Car « non mais ça embauche grave là ! ». 

Dans un élan de « bof pourquoi pas », j’ai claqué 6000 euros dans une formation web design qui ne m’a JAMAIS servi. Deux grosses erreurs donc pour bien commencer cette nouvelle vie. 

Vraiment une attitude de winner se profilait déjà. (Prenez des notes)

Finalement, je ne suis bon que dans le graphisme print. Bien que mon rêve aurait été de rencontrer des gens, de monter des projets, d’avoir une vie multiple et dynamique, redonnant ainsi du sens à mon enthousiasme naturel, mais ça ne suffit pas comme projet professionnel. Ah !

Alors, ça tombait sous le sens que je finisse dans un Coworking impersonnel, à travailler à distance sans jamais croiser personne… oh wait…

Les années passèrent ; le covid aussi ; la solitude s’ancra. 

Mais les affaires marchaient plutôt bien pour un homme seul. J’aurais pu me développer mais j’avais peur que tout s’arrête soudainement. J’aurais pu embaucher mais si je n’ai plus assez de clients ? 

Alors depuis 10 ans, je bosse comme un dingue. Seulement deux semaines de vacances par an pendant lesquelles je stresse en voyant les mails s’accumuler. J’ai bien pris quelques free-lances pour m’aider mais, c’est dur de déléguer quand on est soi-même le produit. 

Et enfin, ces deux dernières années, les choses se sont compliquées. Crise de la presse écrite, guerre en Ukraine, inflation, etc. Beaucoup de projets avortés, des clients qui tirent les prix, qui ne veulent plus dépenser d’argent ou le moins possible. Peut-on faire un magazine sans photographes, sans illustrateurs ? On vous a donné la preuve qu’on pouvait, vous en avez fait un sacerdoce. Saint-Shutterstock priez-pour nous ! Et maintenant, on me réclame de l’AI comme si c’était la solution miracle. (Oui, la rhétorique religieuse me semble adaptée)

Faire une magazine complet, créa + maquette pour 2 ou 3000 euros, 4000 dans le meilleur des cas. Un boulot qui peut prendre un mois à temps plein. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la masse de travail que ça représente (et je suis un vaillant), et une fois les charges soustraites, il ne reste pas grand chose au soldat Cyril. Heureusement, parfois, il y a des bouées de sauvetage, des clients fidèles et adorables qui me permettent de participer honnêtement à la grandeur du PIB.

« Mais pourquoi t’acceptes ? » me direz-vous. Et bien, d’une part, la concurrence est rude et j’ai perdu pas mal de marchés car les graphistes free-lances sont légions et chacun, je le comprends, essaie de tirer son épingle du jeu. Ou peut-être juste que je suis un entrepreneur nul. Ou peut-être encore que c’est par fatalisme. Qui sait. 

D’autre part, j’ai une famille à nourrir et ça donne des petites crises d’anxiété quand tu as passé un mois sans un seul contrat, donc tu finis par t’asseoir sur tes principes car les principes ne remplissent pas le frigo. 

Je suis graphiste depuis 20 ans, dont 10 ans en tant que DA, pourtant, je stagne. Je n’ai pas fait fortune, je n’ai pas investi dans quoi que ce soit car je n’ai pas les clés. Je ne sais tout simplement pas comment on procède. Et tous les posts ici qui nous vendent la réussite et les morning routine du winner me semblent à mille années lumière de moi. 

J’ai misé sur un marché de niche en me disant que si je fais partie des dinosaures du graphisme, je serais recherché. Finalement, comme tout bon dinosaure, je disparais. 

Ne restera que quelques fossiles de magazines que j’aurais créé et que plus personne ne lira. Mon nom restera gravé en bas des pages d’un Ours que les gens lisent encore moins.

Alors voilà, comment réussir à ne pas réussir, en étant souple, cordial, arrangeant, disponible mais avec le sens commercial d’un Bernard-l’ermite.

Prenez-en de la graine.